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L'angle du marmouset
3 mai 2013

La Horde Sauvage / The Wild Bunch

The-Wild-Bunch

“Nous ne sommes que des enfants vieillis qui s’agitent avant de trouver le sommeil.” Lewis Carroll

Des enfants vieillis

Dans La Horde Sauvage, il y a des tas d’enfants, des enfants spectateurs qui regardent les adultes faire avancer l’histoire. Parfois aussi des enfants déjà acteurs qui sourient avant d’embraser une fourmilière sur laquelle dansent des scorpions. Des enfants innocents et cruels. Cruels car innocents, semble dire Peckinpah. On doit à la religion, puis plus généralement à la culture, d’avoir différencié bien et mal, d’avoir opéré la séparation entre ces deux frères siamois. Or, chez Peckinpah, leur statut gémellaire n’est pas voilé. Il y a des adultes qui ont été enfants, et il y a des enfants qui deviennent adultes : un point c’est tout. Ce n’est pas un hasard si, au milieu de la tuerie finale, Dyke Bishop (William Holden) est –  surtout – tué par une femme et par un enfant. Ceux qui cherchent une morale à l’histoire peuvent toujours penser que femmes et enfants deviennent violents pour punir les hommes de les avoir pervertis. Mais dans ce retour de la violence – peut-être juste, est-ce là la question ? –, la violence ne s’estompe pas. Les enfants assistent aux actions humaines, et miment déjà les rires sadiques des généraux mexicains et de leurs sbires. La succession est assurée. Elle prend d’ailleurs corps dans la réalité d’aujourd’hui. Le film date de 1969 mais il y a en lui cette conscience de la transmission et des connexions intergénérationnelles. Le Sonora des années 2000 n’a jamais autant enfoui les traces de ses charniers : il y a des os dans le désert, clame Sergio Gonzales, un des rares journalistes à oser enquêter sur le pouvoir sans limites des cartels, à oser décrire les meurtres par centaines – des femmes innocentes, bien souvent. Que le mal ait pris pour épicentre les terres arides du nord Mexique ne tient pas à l’installation brutale des seigneurs de la drogue. Certes, les cartels produisent de la violence, mais la violence était là bien avant les cartels. La Horde Sauvage en relate l’un des moments généalogiques : les personnages de Peckinpah, d’où qu’ils viennent, disent avant tout leur fascination pour les armes.

[J’ai ici le souvenir d’un épisode de Breaking Bad (saison 2) où la tête d’une balance mexicaine est fixée sur la carapace d’une tortue qui trotte dans le désert. Scène d’horreur qui tranche brutalement avec le rythme faussement placide d’une série géniale.]

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L'homme-tortue de Breaking Bad

L’amitié, exception brève de la rivalité

Dans La horde sauvage, tout est rapports de forces. L’amitié même n’est qu’une donnée ponctuelle, jamais pérenne. On achève les anciens compagnons de route et on abandonne leur corps aux coyotes et aux charognards. La traque de Pike Bishop (William Holden) par son double Deke Thornton (Robert Ryan) n’est elle-même qu’un prétexte au déchaînement de la violence. Elle ne se résout même pas par un affrontement final entre les deux rivaux. A peine se lancent-ils un regard lointain de défi, entre les deux rives opposées d’une rivière. Pas de face à face, ni de duel armé. Juste une courte scène de flashback suffit à sceller le destin des deux amis qui, dès lors, ne se parleront plus, et dont l’un – le traceur – enviera la liberté de l’autre. L’amitié n’est qu’une exception brève de la rivalité.

La violence est partout… d’où une étrange éclaircie lorsque Bishop et ses hommes arrivent dans un village mexicain bâti autour d’un plan d’eau ombragé : ce village est un éden. La lumière filtrée par les arbres semble venir d’en haut quand, dans tout le reste du film, elle est intimement liée aux choses, au sable du désert, au pisé des constructions indiennes, comme dans cette ville-garnison toute plate qui grille et sèche sur place. Cet épisode du village mexicain ombragé n’est pourtant pas qu’une parenthèse enchantée. Il s’y fomente des idées de résistance et de vengeance. Le personnage d’Angel, le bien nommé, est le seul à porter un idéal quand les autres ne courent plus que pour l’argent et la jouissance – quel qu’en soit l’objet. (Même nous, spectateurs, déjà gagnés par l’implacable vision de Peckinpah, pressentons que l’histoire se précipite tambour battant vers son dénouement infernal.)

Je reviens sur la quête de la jouissance : plus tard, un épisode de franche débauche dans le hammam et la cave d’une garnison mexicaine montre que, pour s’amuser, les hommes ont besoin d’un tempo allegro, de musique, d’alcool et de vertige. Il y a, dans la quête du plaisir, la même énergie que celle de la violence.

Un orchestre au milieu des bombes

Dans La Horde Sauvage, la musique fait de la guerre un théâtre de guerre ; comme elle fait de la torture, un théâtre de la torture. Il y a des musiciens partout : on chante au moment des confidences, on chante pour accueillir ses hôtes, on chante au moment des adieux ou, mieux, on chante en pleine guerre, un petit orchestre est là au milieu des explosions et des tirs des fusils. La musique n’est pas là pour produire un effet de distanciation, pour faire passer la pilule de l’hyper-violence, non, la musique ici excite la violence, elle lui confère – un peu comme la photo et la lumière – un élément supplémentaire de beauté. (C’est le moment ou jamais de citer la phrase galvaudée de Keats, mais qui convient parfaitement ici : «  Une terrible beauté est née. »).

Puisqu’il est question d’esthétique, on peut penser ici au symbolisme qui sature Au-dessous du volcan de Malcom Lowry. Le Mexique est le lieu d’un indissociable mélange : on multiplie tout ce qui donne sens, et on finit par retomber dans l’absurdité de l’insensé, comme le consul du livre de Lowry finit dévoré par les chiens dans les immondices d’une fosse commune.

Sur quoi ouvre le rire…

La séquence finale de La Horde Sauvage n’est pas la fusillade souvent évoquée, mais une succession d’éclats de rires. Cette séquence montre, par un habile effet de montage, ce que pourrait être aussi le sujet de ce film : le rire gras, frère de l’angoisse, le rire viscéral. Pas tout à fait un cri – ou bien un autre type de cri, germain des cris de terreur ou d’horreur. Tous les cris ne sont-ils pas cousins ? Ce sont des grognements, des expectorations, des expulsions de salive, gorges déployées, avec vue sur les dents du crâne, et donc sur l’après, un après forcément minéral, où nous deviendrons le sable du désert, où nous deviendrons la rocaille montagneuse, où nous deviendrons le théâtre même de nos tueries. Ce rire final, qui étreint tous les personnages du film, ce rire hautement transmissible, c’est aussi, puissance mille, la reconnaissance de l’absurdité des choses. Ce rire communique directement avec un autre rire – si le montage pouvait s’opérer entre les films – celui que suscite le Trésor emporté par le vent de la Sierra Madre.

La-Horde-Sauvage-From-point-to-Peckinpah

Dans La Horde Sauvage, la mort est omniprésente, la mort violente, sèche. Même l’accumulation des cadavres ne la rend pas moins violente. C’est une des différences avec la mort chez Tarantino – qui compte, parmi ses nombreuses influences, Peckinpah lui-même. Mais chez Tarantino, la mort est niée par l’accumulation des corps. Autre différence : chez Peckinpah, le rire précède la mort ou lui succède ; chez Tarantino, le rire est dans la mort, il lui est consubstantiel, mais c’est le spectateur qui rit, et non les personnages. Chez Peckinpah, le rire étreint les personnages et les musiciens sont dans l’histoire : chez Peckinpah, la fiction est la réalité. Tarantino, lui, plaque sa mise en scène sur ses personnages, dissociant en maniériste ce qui relève de l’artifice et ce qui relève du réel.

Que la fin soit apocalyptique, avec les charognards qui attendent tout autour de la scène, voilà qui en fait un centre gravitationnel – comme Ciudad Juarez dans 2666, le roman de Bolaño. C’est un tourbillon de violence hargneuse et de folie, où s’abîme l’histoire elle-même, où l’on ressent enfin, pour celui qui abandonne ses derniers oripeaux de cultures, l’extase. Le but n’est pas d’échapper à la mort, le but n’est plus de sauver l’honneur ni même un reste d’humanité (même si l’arrivée de William Holden devant le tyran Mapache et ses hommes s’opère sous le signe de la compassion pour un homme nommé Angel). Non, le but est de se précipiter dans la mort, de mourir dans l’extase – mourir et tuer en même temps semblent être le comble de la jouissance. Le sang devient pure adrénaline. La mort violente est la finalité recherchée et non subie, ce qui la rend, sous ce nouveau jour, terriblement attrayante.

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